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Picot Camille
24 avril 2014

Quousque Tandem

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La chambre est dans le noir. La nuit est tombée d'un coup et ça fait  trois jours que l'électricité a été coupée. Par chance il y avait dans un placard une réserve de bougies. Alignées sur la table, ça donne un côté romantique. L'ironie de la situation. Matthias en rirai presque. Les nerfs. Les odeurs de fruits rouges et de vanille s'emmêlent. Projetant des ombres effrayantes sur les murs. Le visage de Grace Kelly, sur le poster de Rear Window prend une forme inquiétante.
Il fait le tour de son deux pièces. Un sac à la main. Un sac à dos de randonné qu'il a déjà rempli d'une tenu de rechange. Il ne sait même plus comment ça a commencé. Quand? Dans la cuisine, Matthias se pose devant les couteaux. Un? Deux? Plus? Il en met trois dans un torchon, bien enroulé. Il regarde ce qui lui reste dans ces placards. Une boîte de thon et des biscottes. Banco. L'appartement est dans un état qui laisse à désirer. Le ménage n'est plus de première nécessité. Juste le stricte minimum. Un peu de crasse s'accumule au bord de l'évier rempli de vaisselle.

Le jeune homme ne regarde même plus les photos qui traînent aimantées sur son frigo. Souvenir d'un voyage au Mexique avec des amis. Il y avait David. Sur la photo il affiche un sourire éclatant sous ses yeux bleus. Peau halée, cheveux aux vents, rien a redire. Sur la photo. Ça avait été franchement de chouettes vacances. Il y avait eu cette soirée dans un club, musique électro et lumière néon, ils s'étaient embrassés. Dans le groupe ça avait fait des émules. Ils avaient passé le reste du séjour collé l'un a l'autre. Et même après. Mais à quoi bon ressasser tout ça. C'était fini.

Ils ont commencé à traiter ça comme un truc bénin qui fait plus de peur que de mal. Un briquet et une bombe de laque? Dans le sac, on ne sait jamais. David avait fait partie des victimes. Un mardi soir, il n'était pas rentré. Pauvre ange. Matthias soupèse le sac. C'est difficile de quitter son logis. On voudrais tout emmener. Déjà faire une croix sur tout ce qui est affectif. Aujourd'hui ça ne sert plus à rien. Le jeune homme ne les regarde même plus. Il les a oublié. Les trois heures de queue qu'il avait fait pour faire dédicacer sa bande dessinée de Bastien Vivès, l'attente passionnée pour le dernier GTA, le besoin vital que représentait le dernier Iphone. Tout est aujourd'hui oublié. Matthias ne connaît même plus leur existence. Un bruit dehors. Sur le palier. Matthias arrête tous mouvements. Le temps passe. L'immeuble est vide. La plupart des gens sont parties en province, près de leurs proches. Le temps passe. Matthias avance lentement vers l'oeil de bœuf de la porte. Rien. Il écoute. Son cœur bat à tout rompre. Rien. Il attends encore. Jette un coup d'œil de temps en temps. Rien. Il vérifie chaque verrou de sa porte blindée. Il reprend sa respiration.  

18h45 sur sa montre. Malika doit arriver vers 20h. Matthias prend la décision de répertorier tout son appart. Il sort tout, de tous les placards. Il a bien fait. Il rajoute une petite trousse de premier secours dans son sac. Les affaires de David sont depuis longtemps écartées. Tous les appareils électriques aussi. Le gouvernement a déclaré l'Etat d'urgence il y a un mois environs et depuis plus de nouvelles. Les chaînes de télés ont peu à peu disparues. La dernière radio qui émettait s'est tue avec la coupure d'électricité. Maintenant? A quand remonte son dernier café en terrasse? Il lui reste un peu de temps, ses yeux parcours la chambre. Comment on a pu en arriver là? Il ne sait même pas. Toute sa vie d'avant à disparu. Il nage dans une sorte de flou. Rien ne lui semble être la réalité. Celle du Mexique, celle des nuits avec David, des baisers, des caresses. Aujourd'hui il vit une autre vie. De celle d'avant il n'a même plus de regret. C'est comme tout. Tu es triste au début et une fois sevré, tu fais avec. Il aurait aimé avoir un flingue, comme dans les films. Savoir si son entraînement intensif à Call Of Duty aurait eu de l'effet.

Malika arrive, elle toque à la porte, lui donne le mot de passe "Quousque tandem". Dans les heures graves, le latin passe toujours bien. Un reste de leurs études en Lettres. Malika est une de ces première connaissance sur Paris. Il y a encore peu, elle était accro aux talons de 8 cm et au soirée du tout-paris. Une grande gueule, belle et sûre d'elle. La fille a qui il ouvre est différente. Elle a troqué sa puissance de journaliste pour un instinct de survie encore plus puissant. Elle est toujours belle, même si c'est différent, dans ses baskets, son jean et son sweat piqué à son mec. Son ancien mec. Lui aussi a été pris. Casques en main, la moto est en bas. Un modèle de ville, pas fait pour la vitesse mais plus confort. De toute façon à l'heure qu'il est, les autoroutes devraient être plutôt dégagées. C'était le véhicule d'un collègue. Malika assure qu'il n'en a plus besoin. On sait ce que veut dire "plus besoin". Ils font la liste de ce qu'ils ont. Ils sortent des sacs, remettent et ressortent. Ils parlent de l'état du monde à coup de "et si..." Malika sourie. "Un PD et une rebeue, sincèrement ce monde n'est pas plus hostile que celui d'avant." Elle n'a rien perdue de son mordant.

Ils descendent les quatre étages, tous leurs sens en alerte. La moto est en bas. Ils jettent des coups d'œil à gauche et à droite. Dehors ils n'auront que peu de temps. avant de passer la porte cochère ils enfilent leurs casques, ajuste leur sac a dos. Top départ. Ils s'élancent vers la moto.  Matthias monte derrière Malika, un marteau dans la main. La méthode a fait ses preuves. Elle démarre et file sur le boulevard de Charonne vers le sud. Ils ne savent pas vraiment où ils vont mais déjà des zombies cherchent à les suivre de leurs pas empesés.

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